Quêtes et enquêtes en sciences sociales. Bourdieu en pratiques dans la rive sud de la Méditerranée

 

Journée d’études coordonnée par Brahim Labari, Zouhir El Bhiri et Tassadit Yacine

17 mars 2023

Faculté des Lettres et des Sciences Humaines, Université Ibn Zohr
Espace des Humanités

 

 

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Argumentaire

 

Cette rencontre est née de discussions autour des conditions, souvent difficiles et complexes, auxquelles les jeunes chercheurs issus de l’Afrique du Nord ou celles et ceux qui s’y intéressent sont confrontés sans trouver des éléments de réponse à leurs questionnements. 
Depuis le « Sud », il est certainement de bon aloi de porter un regard critique et dépassionné des enjeux de lecture des sociétés nord-africaines contemporaines qui peuvent être saisies par le prisme d’un regard pluriel. Nous pourrions entreprendre un tel exercice en empruntant des voies méthodologiques « conçues » depuis le « Nord » sans céder à la tentation d’un « singularisme » héroïque porté par l’Occident et du processus d’universalisation qui l’a caractérisé depuis des siècles.

Le pendant à ce processus est celui de la singularisation comme autant de résistances des aires culturelles face à l’ethnocentrisme du monde dominant, en raison de leurs spécificités sociales et de leur histoire bien comprise. Nous nous gardons bien de revenir au débat inépuisable entre universalisme et particularisme, y compris dans sa variante « culturaliste ». En mettant en débat les styles sociologiques, œuvre de chercheurs établis dans les Universités européennes, il n’est nullement question de notre part d’un suivisme subordonné ni d’une contestation de ce qui est produit car tout est sujet à une posture critique et exigeante.

Les sciences sociales comme leur nom l’indique sont des disciplines qui font appel aux principes scientifiques, et en tant que telles, elles devraient tendre à l’universalisme, condition même que nous, en tant que chercheurs, formons une communauté transnationale qui souscrit aux paradigmes et aux protocoles de recherche communs. Nous soumettons nos écrits à des revues internationales et visons les plus prestigieuses d’entre elles, elles-mêmes consacrées avantageusement dans cette géopolitique des sciences sociales, pour nous hisser nous-mêmes au rang de « spécialistes » reconnus et réputés. Nous devrions nonobstant passer au crible d’un questionnement tenace cette internationalisation des attendus de nos disciplines face aux spécificités nationales et locales.

En choisissant Agadir pour ces rencontres, nous voudrions délocaliser le regard des chercheurs, le décentrer pour redécouvrir d’autres postures et mutualiser une démarche ambitieuse en vue d’engager des recherches sur un terrain encore fertile en favorisant le regard croisé et non le repli sur soi comme on a tendance à le croire et à le faire croire.
Aussi nous a-t-il paru nécessaire et même vital d’essayer de combler cette carence par une formation sur le terrain et par le terrain (stages courts, double direction, tutelle etc.) en fournissant les outils nécessaires à la recherche et en favorisant la rencontre entre les étudiants du pourtour méditerranéen.
Loin de nous l’idée d’imposer un choix théorique et / ou méthodologique convaincus que nous sommes par la volonté de l’échange et de la mise en commun de nos expériences respectives quels que soient d’ailleurs les champs d’expérimentation, les choix théoriques de chacun de nous. Notre objectif est tout simplement de donner à connaître les travaux de chercheurs nord-africains ou étrangers familiers de cette aire pour lui avoir consacré une recherche.

Pierre Bourdieu, connu pour son grand apport à la théorie sociologique, est important à introduire dans les sciences sociales en Afrique du Nord. Et ce pour avoir constamment manifesté un réel intérêt scientifique à l’Afrique du Nord. En témoignent son œuvre majeure sur le Travail et les travailleurs en Algérie, la préface et l’engouement qu’il avait manifestés pour le livre Un ethnologue au Maroc. Réflexions sur une enquête de terrain de Paul Rabinov et pour ses grands dialogues avec le grand chercheur Mouloud Mammeri.

Nous nous proposons de relire le travail de ce grand savant, à l’aune de nos expériences respectives, à travers sa réception par des chercheurs du sud pour permettre aux jeunes chercheurs de saisir les modes d’utilisation de ses concepts sur le terrain de la recherche sociologique et / ou anthropologique – à l’occasion de la parution du livre sur les modes de production culturels par l’Ircam, de Avec Mouloud Mammeri, à la croisée des chemins, de Pierre Bourdieu (1956-1961)… Témoignages, de notre collègue Tassadit Yacine, et du numéro thématique de la revue Esprit critique sur les vingt ans de la disparition du sociologue (Ce que parler de Bourdieu en 2022 veut dire… Les résistances des savoirs critiques – vol. 32.2, janvier 2022), dirigée par nos collègues Sylvie Chiousse et Brahim Labari.

Vingt ans après le décès de Pierre Bourdieu, grâce à cette rencontre symbolique, nous nous proposons de découvrir et faire découvrir par la pratique et sur la pratique les fondements de la vision bourdieusienne de la recherche en nous focalisant sur ses recherches autour de l’Afrique du Nord et de la portée de ses parti-pris épistémologiques et méthodologiques fondamentaux. D’autant que les sociétés nord-africaines connaissent de grandes mutations sociales et culturelles et nul doute que l’héritage de P. Bourdieu permettra d’en démêler les fils et de dévoiler les ressorts de leurs stratifications.

Ces expériences croisées entre chercheurs du Nord et du Sud et des régions Sud/Sud ne peuvent qu’ouvrir des perspectives riches de sens et inédites dans les champs scientifique, local, national et international.

 

Programme

9h-12h – Réceptions et apports de l’héritage de Bourdieu à l’Afrique du Nord
Modération : Brahim Labari (Université Ibn Zohr, Agadir)

YACINE Tassadit (École des Hautes Études en Sciences Sociales, Paris) : « Les enquêtes algériennes de Bourdieu, sous le prisme d’une critique “dévalorisante” »
LACAZE Gaëlle (Sorbonne Université) : Bourdieu et la réflexivité : retours sensibles sur une posture et sur ses développements
OUEDRAOGO Jean-Bernard (CNRS-EHESS) : Et la périphérie devint centrale : notes sur le potentiel heuristique des sociétés africaines d’après Pierre Bourdieu
MAJDI Hassan (Université Ibn Zohr, Agadir) : Enseigner Bourdieu à Agadir. Retour sur une expérience et sur sa réception
MELLAKH Kamal (Université Hassan II, Mohammédia) : Réception et diffusion de la sociologie de Pierre Bourdieu dans le champ académique marocain : quelques hypothèses de travail

15h – 18h – Du bon usage de Bourdieu dans l’étude des sociétés nord-africaines

Modération : Tassadit Yacine (EHESS, Paris)

GHELLAB Grazia Scarfo (École Hassania des travaux publics, Casablanca) : Le concept d’« habitus déchiré » pour comprendre la complexité
KOUVOUAMA Abel (Université de Pau et des Pays de l’Adour) : Pierre Bourdieu et l’internationalisation des sciences sociales comme contribution la plus efficace au progrès de l’autonomie scientifique
ABOULKACEM Alkhatir (Institut Royal de la Culture Amazighe, Rabat) : État et nationalisme. L’apport de Bourdieu
HAMMOUCHE Abdelhafid (Université Lille I) : Actualiser l’approche de Bourdieu par la saisie de la dynamique de l’habitus en situation migratoire et par une double contextualisation (France-Maghreb)

Discussion et débat

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